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Détail d'un film:

JULIEN -PORTRAIT D'UN VOYANT


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1981 - 16mm - 75 minutes

D'après Le livre de Julien

Voix de Henri Gougaud et Raymonde Carasco

Julien joue son propre personnage

Image et son : Régis Hébraud

VOICI MA VIE

Carasco Julien, né le 17 février à Valencia, Espagne, en 1912, un jour de Carnaval. Ma première mémoire d'enfance mes parents émigrent en France, pour travailler à l'agriculture, en 1914. Je me rappelle avoir monté sur le bateau à Valence, pour la France. J'entends les coups de sirène qui me font un peu impression, puis, vaguement, la mer.

La maison en France, à Villespy, Aude, en 1914 ; j'avais deux ans. La route passe à côté de la maison ; une petite rivière prolonge la route. Derrière la maison, un chemin allait vers la métairie. C'est là que ma sœur Raymonde a été mordue par un chien enragé. J'aimais aller voir la machine à dépiquer, une ancienne machine de train. Son sifflet me faisait impression. Puis le départ : le mécanicien a aidé la machine à se lancer, en tirant la longue courroie qui partait d'un grand volant de la machine à la batteuse. J'ai vu le ciné­ma pour la première fois : les roulantes, sur le front, mar­chent le long d'un chemin ; la soupe en train de cuire, les poilus marchant devant, avec des capotes, des bottes aux pieds et coiffés d'un casque ; les tranchées, etc...

Un jour, nous étions à table, au repas de midi. Il s'est mis à tomber une petite poussière sur la table. Mes parents regardent le plafond : aucun bruit ni mouvement, en haut, sur la chambre. Les assiettes se sont remplies de poussière. La porte d'entrée était fermée, ainsi que la fenêtre. Pas de courant d'air de nulle part. Mon père a dit «C'est un signal. Nous verrons bien». Quelques jours plus tard, on a reçu une lettre d'Espagne ma tante, une sœur à ma mère, âgée de 20 ans, était morte le jour et à l'heure que la poussière était tombée sur la table.


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UN FAUX-PAS

Argument. Ou Hypothèse du film.

(Raymonde Carasco)

Un jour, un homme fait un faux-pas. Un jour comme les autres, un homme comme les autres. A cette différence, une différence près : l'homme est maçon, de métier, de la tradition de ceux qui savent, peuvent tout faire d'une maison, des fon­dations jusqu'au faîte, le gros œuvre et l'intérieur, calculer la résistance des matériaux, d'un ferraillage, les canons de cheminées qui fument pas ; et, ce jour-là, l'homme plâtre. Il refait un plafond, très haut, ancien. Herminis. C'est le nom de la ferme, du château comme on dit dans ces pays de la France du Sud, de ces demeures au milieu de leurs terres, de leurs vignes, où il travaille, ce début d'été des années 60. L'hom­me a construit un échafaudage. 1 mètre 90. C'est peu, pour un maçon.

Un simple faux-mouvement. Une oscillation qui ne se dé­cide pas pour un retour à la position initiale. il a basculé. Tout entier. La truelle s'échappe, tombe à la verticale, son tran­chant offert sur l'échafaudage recouvert des coulées du plâtre, aux dessins baroques, géographie douce. Le corps de l'homme a quitté le plancher précaire. Sous le choc, le bois s'est écarté. Un carré vide apparaît entre les planches disjointes. L'homme décrit une singulière parabole, une courbe presque à l'hori­zontale, une espèce de translation par rapport au plan qui le portait. Il dépasse cette surface, la quitte, happé par un trou noir : le vide du couloir. il s'écrase sur les décombres du par­quet défoncé.

C'est là que les autres maçons le trouvent. Ils ont été alertés par le bruit. C'est le plâtrier, il est tombé. Juste à côté de sa tête, il y a trois barreaux, de grosses briques aux arêtes vives. Le hasard de la chute les a évitées. L'homme est Si pâle qu'ils le croient mort. Cependant, faiblement, il respire. Du sang coule d'une oreille. ils téléphonent à une ambulance libre, toutes occupées. L'un d'eux charge l'accidenté dans sa 2 CV. En chemin, juste à un kilomètre de l'hôpital, une roue crève. il faut la changer. Le plâtrier respire à peine. il est toujours sans connaissance. Le sang coule de l'oreille - comme un lapin, écrit Julien .

.....

Ici, quelque chose, peut-être, s'est passé. Grego, sa femme, la première, l'a formulé : «C'est depuis l'accident». Julien parle, tout à coup, il expose sa vue des choses, assez longuement. Toujours à sa manière. il ne pose pas de questions. Pas plus. Simplement, il lui arrive de donner son avis, à propos d'un incident que quelqu'un relate. Il met son grain de sel, dit Grégo. De la situation toujours très particulière, il extrait en quelque sorte son point de vue. Et il donne alors les cro­yances jusqu'à livrer parfois ce qu'il appelle énigmatiquement «ma croyance», qui ouvrent ce point de vue. Son éclairage à lui de l'évènement, et la source de cette lumière singulière. Une pensée toujours un peu abstraite, oui, une forme d'abs­traction, qui détache des circonstances psychologiques, des détails de l'anecdote, un sens qu'on pourrait dire abstrait, quoique concret pour lui, Julien. Sa philosophie de l'événe­ment, en somme. A travers ces interventions, ces manifesta­tions, on sent quelque chose se faire jour dans son esprit, avancer, et qui se formule de plus en plus fermement. On assiste, au fur et à mesure de ces actes de parole, à l'émergence d'une pensée singulière : sa Croyance.

Julien parle. il raconte ses rêves. «La première fois que je suis allé en Paradis, j'ai vu la Vierge...». Elle a quinze ans, un corps frais. Autour de lui, on est un peu interdit. On a un peu peur. Un peu honte aussi, devant les étrangers. Il devient fou, peut-être. Entre érotique et mystique, on ne voit pas bien au juste, vers cinquante-cinq ans, on ne sait jamais. Un peu fou.

Julien écrit. Sur un ancien cahier. Un livre de comptes, en cuir vert, ferré aux angles, trouvé au cours de travaux de dé­molition de l'E.D.F. Entre les pages couvertes de chiffres, sur les plages libres, les espaces vacants, il écrit. Sa vie : son enfance et ses rêves. Les rêves de la nuit. «Le Réel», il dit. Sa croyance, comment lui est venue sa croyance, la découverte et l'expérience de ses pouvoirs. Livre de voyant. Il écrit de son orthographe à lui, d'homme qui est peu allé à l'école, deux ans de fréquentation régulière à peine, entre sept et huit ans, entre douze et treize ans, d'étranger, de fils d'émi­grés, de ceux qui n'écrivent pas dans leur langue maternelle, presque analphabètes, d'une autre culture, d'une tradition orale, de pâtres-devins, de magie, avec son accent à lui, Julien, et ses pointes d'occitan. Analphabètes, dit-on. Depuis «le Grand Livre», comme il l'appelle, il continue à écrire, sur des cahiers d'écolier, avec les stylos, les crayons-bille qui lui tombent sous la main, ça peut changer de couleur au milieu d'une phrase, au gré des dimanches, des temps de maladie, ils sont venus, comme dans toute vie, des années, il n'arrête pas. Ne pas s'arrêter. «Si on s'arrête, c'est fini, vous compre­nez... il ne faut pas s'arrêter. Je ne peux pas regarder comment j'écris. Sinon, je perds ce que je dis. Si on arrête, c'est coupé. On écrit autre chose, après... Mais ce qu'on était en train d'écrire, c'est fini... Quand on travaille, on a une idée, on voit quelque chose, un instant, ... il faudrait avoir un papier, un crayon, là, à portée... Un instant. Ça passe. C'est passé. On ne le retrouve jamais. On a tout oublié. C'est perdu».

Alors, petit à petit, on a lu. On a commencé à voir ce qui arrivait : Julien devient Julien. Julien n'en finit pas de deve­nir Julien.

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Extraits du Livre de Julien, Editions Tribu, Toulouse, 1985.

 


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