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Les films ethnologiques de Raymonde Carasco

par David Matarasso

Et le parfum d’herbe sèche du cosmos l’assaillit plus forte que jamais.

Pier Paolo Pasolini, Petrolio.

Lorsque l’on découvre l’oeuvre de Raymonde Carasco, l’une des entreprises de cinéma les plus exemplaires de ce siècle, soudain il semble que le cinéma accomplisse les idéaux du Romantisme allemand : «Si tu veux entrer dans les profondeurs de la physique, fais-toi initier aux mystères de la poésie» (Schlegel). Comment le cinéma accède-t-il à la vérité poétique des phénomènes, comment la description sensuelle des apparences et des particularités peut-elle se convertir en un tel «chant magnétique» ? Cela tient d’abord aux origines de l’enquête : Raymonde Carasco n’est pas partie au Mexique pour violer et piller l’imaginaire Tarahumara, elle est partie sur les traces d’Antonin Artaud, vérifier empiriquement les rencontres d’un texte sacré de la modernité avec le réel. De sorte que sa recherche ne consiste pas en une investigation classique (élucider, dévoiler et divulguer) mais en une alliance sensible : jouir du privilège d’être là, accepter de ne pas tout voir, accepter de relever lentement quelques traces, de prélever quelques mouvements, quelques signes à la beauté amicale avant de prétendre à le compréhension des choses, partager non pas le secret mais le culte du secret, du mystère et de la transe. Or, avant même de trouver son terrain sur les plateaux du Mexique, l’élégance formelle qui structure le style de Raymonde Carasco dès Gradiva Esquisse I relevait des schèmes plastiques propres au rite : fragmentation, monumentalité, fétichisation, sérialité. Mais le cinéma ici ne monumentalise pas autre chose que le réel même, au sein duquel Raymonde Carasco a élu un motif privilégié, le geste. Elle montre que chaque geste humain, à commencer, comme chez Muybridge et Marey, par la marche et la course, résulte moins des caractéristiques singulières du corps individuel concret que d’un rapport global de l’homme au monde -- tout geste est une mythographie, et ce que Raymonde Carasco décrit des Tarahumaras comme Jean Rouch des Dogons nous indique comment nous aussi nous sommes des marionnettes turbulentes, mais tirées par des fils moins magiques.

Nicole Brenez , Texte de présentation de la rétrospective des films Tarahumaras de Raymonde Carasco à la Cinémathèque Française de Paris, Salle des Grands Boulevards, du 17 septembre au 29 octobre 1999.

 
 

 

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