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La métamorphose d'une énigme

"La nouvelle Justine" de Sade en toile de fond, Joa (Bulle Ogier) qui recherche sa sœur comédienne disparue (Mireille Périer). C'est "Rupture" de Raymonde Carasco. Beau et cruel.

L'anthropologue Joa (Bulle Ogier) interrompt son voyage au Mexique et revient à Paris pour revoir sa sœur Anna (Mireille Perrier), dont elle est sans nouvelles. Anna, actrice de théâtre, tenait, lorsqu'elle a disparu, le rôle-titre dans une pièce tirée de la Nouvelle Justine de Sade. L'enquête que mène Joa auprès des collègues de sa soeur, de ses amis, des dernières personnes qui l'ont vue, se transforme quête initiatique.

Elle assiste à une représentation de la pièce et prend conscience, à travers la gêne de l'actrice qui remplace Anna, que le jeu déborde sur la réalité. Cette passerelle à double sens entre l'imaginaire et le corps est favorisée par une conception physique et «cruelle» du théâtre, proche des théories d'Artaud ou de Grotowski. Les marques des cordes sur les poignets sont réelles, et la prose sadienne, débitée par le « Libertin » qui torture Justine, ne peut se perdre impunément dans les coulisses. Un acteur qui interprète un tel rôle y laisse des plumes. Anna était une professionnelle. La cruauté de la pièce n'aurait pas suffi à la déstabiliser. La fêlure vient de plus loin : la Justine humiliée n'a servi que de catalyseur.

En cherchant â connaître les raisons qui ont conduit Anna à rompre avec son métier et ses amis, Joa se métamorphose. Elle abandonne l'anthropologie et devient écrivain. Rupture, comme Providence d'Alain Resnais, est la mise à l'écran d'un livre en train de s'écrire. Dés le début, on voit la main de Joa noircir les pages qui deviennent les séquences du film. A l'exception de la rencontre finale entre les deux sœurs, Anna n'apparaît qu'en flash-back à l'image. Sa vie -romanesque ou réelle - nourrit la chair de la fiction. Aucune clé n'émarge sur le réel : il faut suivre toutes les pistes. Comme dans les grandes oeuvres -celle de Beckett, Joyce, Godard... -, la vérité se trouve du côté du langage.

Rupture est une création originale qui possède une écriture, une forme et une identité. Choses devenues tellement rares au­jourd'hui dans la production audiovisuelle, qu'il serait dommage de laisser dans l'ombre ce remarquable (télé)film. Raymonde Carasco avoue une dette envers Jacques Rivette (il y a plus d'une similitude entre Rupture et l'Amour fou, Marguerite Duras et Alain Resnais). Mais on est loin de la copie appliquée. Cet héritage digéré et intériorisé est mis en circulation dans une fiction très personnelle.

Le casting lui-même est en phase avec le processus d'élaboration du film. « Duras a vivement conseillé à Bulle Ogier de voir mon premier long métrage, Julien-portrait d un voyant », précise Ray­monde Carasco. « Bulle a aimé la musicalité du film et m'a fait comprendre que, si un jour j'avais besoin d'une actrice, elle serait là. Le personnage de Joa a spécialement été conçu pour elle. J'étais la première à lui proposer un rôle après la mort de sa fille Pascale. Mon instinct m'a ensuite guidé vers Mireille Perrier pour incarner Anna. A cause d'une parenté dans la profondeur du regard. Et, aussi, peut-être, parce que Mireille a sensiblement le même âge que Pascale... »

Raphaël BASSAN, Libération, mercredi 24 janvier 1990.


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