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Recueil de Critiques de Gradiva Esquisse I

“A partir du thème d’une nouvelle de W. Jensen “Gradiva” (un jeune homme amoureux fou d’une démarche, rencontrée sur un bas-relief antique et qu’il l'ima­gine d’une jeune pompéienne), Raymonde Carasco parvient à transformer des images presque réalistes en un ballet abstrait du pas de Gradiva qui ne cesse de se poser au ralenti sur un bas-relief. On n’oubliera pas de sitôt ce mouvement que l’on croirait se répéter indéfiniment.

Dans la production stéréotypée du cinéma français, c’est un film qui tran­che radicalement aussi bien au niveau de la représentation (jamais depuis India Song, Bruno Nuytten n’a produit une image aussi appropriée à un lieu qui est Pompéï) qu’au niveau de la narration où Raymonde Carasco se propulse à des années­ lumières du texte de Jensen afin d’en conserver (cerner) l’essence.”

Gérard Courant. Cinéma 79.

 

Gradiva Esquisse I ne garde de la nouvelle de Jensen analysée par Freud que l’impression première, lumineuse et intérieure que suscite chez le jeune archéo­logue la vision du pied, suspendu entre ciel et pierre, de la jeune-fille-qui-avance; images de chair contre pierre, de lumière fluide et d’ombre, images d’es­pace et de temps inscrits dans la matière, remarquablement filmées par B. Nuytten, pensées et montées par R. Carasco.”

Claude Brunel - Canal - octobre 78.

 

“Dans Gradiva Raymonde Carasco ne garde du texte de Jensen, analysé par Freud, que l’aspect dynamique du fantasme d’un jeune archéologue touché par la grâce d’un pied féminin suspendu entre ciel et terre. Cette démarche permet à la réalisatrice de jouer uniquement sur les rapports de mobilité et de lumière, de confrontation de textures la chair du pied et le minerai des pierres; un film abstrait qui frise le fétichisme.”

Raphaël Bassan - Ecran 78 - novembre 78.

Moi: Je vais te parler de Gradiva. Dans ce film, la nouvelle de Jensen est traitée à la synecdoque.

Elle: C’est une pommade?

Moi: C’est une figure de rhétorique, qui consiste à prendre la partie pour le tout.

Elle (précoce) Figure de la magie, du fétichisme et du gros plan!

Moi: Tu l’as dit, jolie. Ici Raymonde Carasco filme en plans fixes et à différentes vitesses le mouvement du pied nu de la jeune fille dont le héros de Jensen (et de Freud) s’enticha vers 1900. Elle a emmené l’opé­rateur Bruno Nuytten le filmer à Pompéï, sur le lieu même de la fiction. D’où de longs plans de murs ocres et jaunes qui entrecoupent cette pavane et en font un superbe film expérimental.

Elle: Où cela (ce pied) passe-t-il?

Moi: A Beaubourg, ma cocotte, dans une sélection intitulée Treize ans de cinéma expérimental en France.

Elle : Merci, oncle Jonas.

Dominique Noguez, "Petites filles 1979" in Revue d'Esthétique 1980, 10/18.

 

Raymonde Carasco souhaitait réaliser une adaptation de la Gradiva de Jensen contre l’interprétation de celui qui rendit ce texte inoubliable, Freud. Avec Bruno Nuytten, elle commença par effectuer des essais sur le motif fétichisé par le protagoniste masculin de la nouvelle, la pose gracieuse d’un pied de jeune fille passant sur une pierre à Pompéi. Raymonde Carasco expérimenta six vitesses différentes, de 500 à 50 images par seconde. Le film se confondit avec son esquisse et devint une leçon d’adaptation de la pensée littéraire au cinéma : quel besoin de restituer l’entourage fictionnel, alors que, dans la simple série des ralentis différentiels qui décomposent le gracieux mouvement de la cheville, se prouve l’insuffisance de la démonstration freudienne ? On peut en effet comprendre ainsi la version carascienne de la Gradiva : s’arrêter sur un motif, le faire revenir encore et encore, faire varier à son sujet les modalités descriptives en termes de défilement cinétique, de lumière et de son, ne relève pas d’une pathologie ; car il ne s’agit pas d’en feindre la résurrection, mais de témoigner en faveur du caractère interminable des choses, de rendre hommage à la vibration profonde que produit tout phénomène vivant, aussi simple, aussi éphémère soit-il, lorsqu’il est considéré avec l’attention que son passage terrestre requiert. Gradiva propage la vibration de plusieurs façons : grâce à la série monumentale des ralentis ; grâce au souffle de la flûte ; grâce à l’envolée finale de la jeune fille courant dans les ruines nocturnes ; et grâce aussi, malicieusement, au fait que le personnage de la Gradiva, nous le découvrons en fin de générique, est joué par deux jeunes filles au lieu d’une. Ainsi le fétichisme n’est plus ni fixation ni arrêt, il se voit réinterprété en laboratoire de la contemplation et le tracé d’un pas devient le site d’un approfondissement à ce jour unique des vertus descriptives du cinéma. Gradiva est ce film sur la décomposition du sensible que le cinéma attendait depuis la fin des expériences inaugurales de Marey et Lucien Bull.

Jensen, qui animait les bas-reliefs, est un grand cinéaste ; Freud, qui maniait le verbe comme personne, un romancier génial ; et Raymonde Carasco, théoricienne de la sensation, une profonde analyste.

Nicole Brenez, Présentation du film à la Cinémathèque française, en 2001.

 

Pied qui sied à l'empreinte, suis la minérale piste, vierge, trace hiératique au toucher fluctual, d'un fragment incarné dans les pierres.

Déchirure dans l'espace du temps, d'un froissement. La mémoire dépose sous chaque pas d'attaque, l'amnésique tempo d'un espace minéral.

C'est l'heure aquatique du pied qui ressuscite les mots, des traces à demi-effacées de l'immensité qui marche.

Un pied s'inverse, un pied s'entête, un autre procède du miroir de ses ongles.

Elle : lumière aveugle, pierre qui s'amenuise dans un éclat tombal.

Mur d'un sang délavé, le tranchant maçonnique appelle un géomètre, tant qu'il fut, le pied, son propre maître, non son appartenance à un quelconque humain.

Silhouette d'une enfance fugace, remontée des enfers de l'im-posture; le pied, lui, simplifie la surface.

Gradiva s'approche libérée de la terre.

Dominique Pottier, avril 2003.

 

 

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